ÉCONOMIE MONDIALE - 1995 , vers une redistribution des ressources mondiales

ÉCONOMIE MONDIALE - 1995 , vers une redistribution des ressources mondiales
ÉCONOMIE MONDIALE - 1995 , vers une redistribution des ressources mondiales

Le ralentissement de la croissance dans les principaux pays industrialisés au cours des derniers mois de 1995 a donné une vision réductrice de la situation économique internationale, en ce qui concerne tant le bilan que les perspectives. Même si les chiffres devaient être ajustés en fonction de ces derniers développements, les estimations que le F.M.I. a publiées en octobre ont donné une idée plutôt rassurante de la croissance mondiale: après 2,5 p. 100 en 1993 et 3,1 p. 100 en 1994, il était question de 3,7 p. 100 pour 1995 et de 4,1 p. 100 pour 1996.

Mais le phénomène le plus intéressant était d’ordre plus fondamental. Cinq ans après la disparition de l’Union soviétique, la nouvelle donne économique planétaire est maintenant en place. En dehors de quelques îlots de résistance, en Asie centrale ou en Amérique latine, la règle du jeu capitalistique est universellement admise. Cela n’empêche pas de sensibles différences de comportement d’un pays à l’autre, ou entre les régions du monde. On peut les appréhender en considérant le laps de temps écoulé entre les manifestations des dysfonctionnements économiques (qu’ils soient systémiques ou macroéconomiques) et la période initiale de l’ajustement. Cette considération est évidente pour les anciennes démocraties populaires ou les pays soumis à l’ajustement structurel du F.M.I., mais elle est valable également pour les pays industrialisés. Le caractère plus ou moins précoce des ajustements nécessaires apparaît comme le meilleur symptôme de la vitalité économique. Les pays européens en ont fait la démonstration en 1995 au sujet de l’Union économique et monétaire.

Dans ses Perspectives économiques , publiées en décembre 1995, l’O.C.D.E. note: «La réduction des déficits budgétaires est à l’ordre du jour dans la plupart des pays en développement.» Ces déficits ont été accumulés depuis la fin des années 1980 en Europe et en Amérique du Nord par des gouvernements dont l’horizon semblait se limiter à celui des prochaines élections. Leurs successeurs ont dû faire face aux conséquences du laxisme, qui peut entraîner un «effet boule de neige». Celui-ci se produit lorsque la dette publique atteint un niveau tel que sa charge d’intérêts dépasse les ressources fiscales nécessaires pour la résorber.

Les attitudes ont changé en 1995, et ce risque a pu être écarté dans les pays les plus exposés, au premier rang desquels la Belgique et l’Italie. La rigueur budgétaire est devenue le maître mot. Les pays de l’Union européenne y ont été engagés par les contraintes de la convergence en vue de la monnaie unique: il était désormais urgent de se conformer au critère, en la matière, du traité de Maastricht, à savoir un déficit ne dépassant pas 3 p. 100 du P.I.B.. Pour l’année 1995, ce taux a été estimé par l’O.C.D.E. à 3,1 p. 100 pour l’Allemagne, 5 p. 100 pour la France, 7,4 p. 100 pour l’Italie et 5 p. 100 pour le Royaume-Uni. Il est à noter qu’en Allemagne la rigueur budgétaire a pris, en 1995, le relais de la restriction monétaire imposée au lendemain de l’unification du pays.

Les États-Unis se sont également engagés sur la voie de l’orthodoxie budgétaire. L’objectif de retour à l’équilibre en 2002 a donné lieu, à la fin de l’année, à une confrontation entre le président Clinton et les chefs de file républicains du Congrès. Le principe en était admis de part et d’autre, mais le désaccord a porté sur les modalités: la Maison-Blanche demandait une réduction des impôts moins importante que la majorité parlementaire, laquelle insistait sur des coupes dans les programmes sociaux, que la Maison-Blanche tenait en revanche à préserver. Les républicains étaient partisans d’un transfert vers les États d’une partie de la protection sociale. L’impasse a provoqué la fermeture, à deux reprises, d’un certain nombre d’administrations fédérales, faute de crédits pour payer les fonctionnaires.

Le contrat avec l’Amérique

La démarche américaine était fort différente de celle des Européens. L’offensive parlementaire contre les dépenses excessives de l’État fédéral procédait d’une «philosophie» socioéconomique dont l’avocat le plus en vue était le speaker (président) républicain de la Chambre des représentants, Newt Gingrich. Sa doctrine, exprimée dans le Contract with America (Contrat avec l’Amérique), vise à une réduction des activités du secteur public, ce qui, en permettant une diminution des impôts, augmentera la part des ressources revenant à l’initiative individuelle. En contrepartie, les particuliers et les responsables du secteur privé devront assumer de plus grandes responsabilités civiques. Les craintes exprimées dès le début des années 1990 outre-Atlantique au sujet du crowding out , l’effet d’éviction des emprunts publics sur le marché des capitaux, s’enracinaient désormais dans une idéologie inspirée par les pionniers du Nouveau Monde.

Le déficit des administrations publiques américaines est relativement faible, mais il contribue au bas niveau du taux d’épargne et au déficit de la balance des opérations courantes. L’appel à l’épargne internationale a permis de contenir la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, mais a exercé une pression sur ceux du reste du monde. Dans ses Perspectives de l’économie mondiale , le F.M.I. affirmait que les hésitations des investisseurs internationaux à financer le déficit budgétaire américain avaient constitué une des causes de la faiblesse du dollar dans les quatre premiers mois de l’année 1995.

Parmi les pays industrialisés, le Japon a présenté une exception encore plus radicale au consensus d’ajustement budgétaire: les plans de relance successifs, qui ont totalisé 73 000 milliards de yens depuis 1992, ont porté le déficit des administrations publiques à 3,9 p. 100 du P.I.B. en 1995, contre 3,5 p. 100 en 1994 et 1,4 p. 100 en 1993. Cette situation exceptionnelle implique que les autorités japonaises devront veiller à la bonne rentabilité des investissements financés par ces programmes. Cela n’a pas toujours été le cas antérieurement, notamment dans le domaine des travaux publics, un secteur largement tributaire de la politique à l’échelon local. Le frein que va constituer la nécessité de désendetter l’État lorsque la crise économique et financière aura été surmontée jouera au détriment d’une population vieillissante: l’ère de la «croissance à la japonaise» est définitivement révolue.

Avant même que les estimations de croissance des pays industrialisés aient été révisées à la baisse, vers la fin de 1995, il est apparu que la phase ascendante de l’activité économique, alors dans sa troisième année, serait moins vigoureuse que lors des périodes comparables des cycles enregistrés au cours des deux précédentes décennies. Une des raisons en était qu’au second semestre de 1994 la demande s’est progressivement ralentie par rapport à la production, ce qui s’est traduit par une accumulation des stocks, dont la liquidation a pesé sur la production dès le début de 1995. Il s’y est ajouté un phénomène structurel: chacun des derniers cycles économiques pour la zone O.C.D.E. a été moins générateur d’emplois, même si le taux de chômage a paru culminer dans les vingt-quatre pays membres (à un peu plus de 8 p. 100) dans les premiers mois de 1994. Pour 1995, il a été estimé en fin d’année à 7,8 p. 100.

La situation ne s’est pas améliorée de ce point de vue en Europe, qui demeure handicapée par les rigidités des marchés de l’emploi. Deux ans après le Livre blanc que la Commission de Bruxelles a consacré à ce sujet, le taux de chômage dans l’Union européenne était revenu à celui de 1993, à savoir 11,1 p. 100. Malgré une progression du P.I.B. d’environ 2,7 p. 100, ce taux n’a diminué que de 0,4 point en 1995 par rapport à celui de 1994. Le niveau élevé du chômage affecte non seulement la confiance des consommateurs, donc la croissance, mais aussi l’équilibre des finances publiques. La progression des transferts sociaux a représenté, selon les dernières statistiques disponibles, un peu plus d’un tiers de l’augmentation des dépenses publiques totales entre 1960 et 1993. Bien que le fait soit imputable en grande partie aux transferts en faveur des personnes âgées, les transferts revenant aux bénéficiaires d’âge actif représentaient, en 1993, 5 p. 100 du P.I.B. de la zone O.C.D.E. L’impératif budgétaire dessine une tendance au durcissement des critères d’admissibilité aux allocations de chômage, comme plusieurs pays (Suède et Grande-Bretagne notamment) ont entrepris de le faire, ainsi que la mise en place d’incitations à la recherche effective d’un emploi.

Les institutions financières ont commencé en 1995 à se préoccuper du poids que les régimes de retraite en vigueur feront peser, s’ils ne sont pas modifiés, sur les générations futures du fait du vieillissement des populations. Selon les études préliminaires de l’O.C.D.E., les prélèvements fiscaux destinés à financer ces régimes augmenteront au début du XXIe siècle prochain de 50 p. 100 en Norvège et de 100 p. 100 aux États-Unis. L’endettement public du Japon passera, pour la même raison, de 25 p. 100 du P.I.B. en l’an 2000 à 315 p. 100 vingt ans plus tard. La dette publique italienne, après une légère diminution au tournant du siècle, augmentera à nouveau pour atteindre 145 p. 100 du P.I.B. en 2030. Une tendance comparable est prévue pour l’Allemagne et la France. Le principal économiste de l’Organisation, Kumiharu Shigehara, estime que cette charge financière croissante aura une influence sur les taux de change, car «les prêteurs chercheront à se protéger contre le risque représenté par d’importants accroissements futurs des ratios de dette publique au P.I.B.».

En raison de la précarité de l’emploi, il n’est pas étonnant que la consommation des ménages ait été le point faible de la conjoncture européenne: en 1995, comme en 1994, elle n’a progressé en volume que de 1,7 p. 100, selon l’estimation de l’O.C.D.E. au 10 novembre, alors qu’aux États-Unis, pays où l’emploi n’est pas cause d’inquiétude, les taux étaient de 3 et 3,5 p. 100 respectivement. Pour les investissements, la comparaison soulignait le décalage cyclique de part et d’autre de l’Atlantique: le taux de progression de la formation brute de capital fixe est passé chez les Quinze de 2,3 p. 100 en 1994 à 4,5 p. 100 en 1995, tandis qu’aux États-Unis il a régressé, tout en se maintenant à un niveau nettement plus élevé, de 12,3 à 10,4 p. 100.

La maîtrise de l’inflation

Les principales analyses de l’économie mondiale en 1995 font à peine mention de la politique monétaire. L’inflation, en effet, est généralement maîtrisée dans les pays industrialisés, et la baisse des taux d’intérêt est intervenue en fonction de deux paramètres: d’une part, le succès de la politique budgétaire et, d’autre part, le maintien de l’activité à distance raisonnable des risques de surchauffe ou de récession. En Europe, où la Bundesbank mène le jeu, le premier critère a dominé, bien que la générosité des augmentations de salaires ait joué dans un sens contraire à la détente. Aux États-Unis, le Conseil de la Réserve fédérale a mis fin en juillet à l’«attaque préemptive» contre l’inflation engagée en 1994, en abaissant d’un quart de point, à 5,75 p. 100, le taux des fonds fédéraux. Cela a valu à Alan Greenspan, le président de la Fed, les félicitations des observateurs pour son sens de l’anticipation: les États-Unis, grâce à un assouplissement monétaire décidé avant que la cote d’alerte soit atteinte, paraissaient avoir réussi leur «atterrissage en douceur».

La conjoncture en 1995 est demeurée soutenue par les échanges internationaux. L’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.), qui succède officiellement au G.A.T.T. le 1er janvier 1996, estime leur croissance en 1995, pour les marchandises, à 8 p. 100 en volume. Ce taux, en légère baisse par rapport au record de 9,5 p. 100 enregistré en 1994, est trois fois supérieur à la croissance de la production. Un accord intérimaire sur les échanges de services financiers a été adopté le 28 juillet dans le cadre de l’O.M.C. par quelque quatre-vingt-dix pays. Les États-Unis se sont abstenus, faute d’avoir obtenu des pays en développement, notamment ceux d’Asie, les concessions qu’ils jugeaient indispensables.

C’est dans le domaine financier qu’ont été enregistrées les principales perturbations de l’ordre économique mondial en 1995: une nouvelle crise au Mexique, l’affrontement entre les États-Unis et le Japon par yen et dollar interposés, enfin, des menaces sur le système bancaire japonais.

La crise mexicaine, dont le détonateur fut la dévaluation de 15 p. 100 du peso le 20 décembre 1994, a été due à la combinaison de plusieurs facteurs: troubles politiques dans la province du Chiapas, gonflement de la dette indexée sur le dollar (une dette devenue suspecte à qui se souvenait de la suspension de la convertibilité lors de la crise de 1982), gonflement incontrôlable du commerce extérieur, non-crédibilité du premier plan de stabilisation. Une assistance internationale totalisant 37,8 milliards de dollars (dont 20 milliards fournis par les États-Unis) a permis de rétablir la confiance à la mi-janvier 1995. L’événement a mis en lumière l’inefficacité de la surveillance que le F.M.I. était censé exercer: l’institution a fait son mea culpa, à l’occasion de son assemblée annuelle en octobre à Washington, et a renforcé son dispositif en la matière.

La démonstration a aussi été faite que, à l’instar des transactions visibles et invisibles, les crises financières ont désormais tendance à prendre une dimension globale. En l’occurrence, on a parlé de l’«effet tequila» pour évoquer l’onde de choc qui, partie du Mexique, a gagné d’autres pays d’Amérique latine, en particulier l’Argentine et le Venezuela. Les systèmes bancaires y étaient trop vulnérables, en l’absence des réglementations adéquates (notamment en matière de ratios de fonds propres) pour résister à l’inquiétude des déposants: la crise de l’endettement des années 1980 n’avait pas été oubliée.

Mais l’Asie du Sud a résisté à la contagion, bien que ses marchés émergents aient auparavant reçu, comme ceux d’Amérique latine, des masses considérables de capitaux extérieurs. Cette région a été protégée en la circonstance par deux facteurs. D’abord, une part notable des investissements de portefeuille, particulièrement volatils, provenaient d’autres pays d’Asie, notamment du Japon; les investisseurs avaient ainsi une meilleure connaissance du terrain que ceux, Américains ou Européens, qui avaient été attirés par les rendements considérables des Bourses latino-américaines. De plus, les marchés d’Asie sont soutenus par une épargne locale relativement importante.

La crise yen-dollar et celle des établissements de crédit japonais ont fini par être étroitement mêlées en 1995, tant elles sont partie intégrante du marasme économique nippon. La première ne peut être dissociée de la tension commerciale entre Washington et T 拏ky 拏 au sujet des ventes d’automobiles et pièces détachées américaines au Japon. Ce conflit, survenant après bien d’autres, est apparu à Washington comme un test de la «diplomatie des affaires» menée par le président Clinton. À la menace de sanctions économiques, effectivement décidées le 16 mai, s’est ajoutée l’intention attribuée aux autorités américaines de «punir» le Japon par l’arme des changes. L’idée a pris corps dans les salles de marché après qu’elle eut été formulée par Fred Bergsten, le président de la Brookings Institution, qui fut l’un des conseillers de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle. La hausse du yen avait commencé en 1990, mais elle s’est vivement accélérée au début de 1995, pour culminer le 19 avril: le dollar ne cotait plus que 79,75 yens. Le reflux de la devise japonaise a anticipé l’accord mettant fin au contentieux commercial, qui a été conclu à la fin de juin et signé le 24 août 1995. Comme à l’époque de l’accord du Plaza, en 1985, les interventions des banques centrales n’ont eu l’effet désiré qu’après le retournement de la tendance sur le marché: celle qui a associé le 15 août la Réserve fédérale américaine, la Bundesbank et la Banque du Japon a provoqué la plus forte hausse du dollar depuis trois ans, alors que les précédentes initiatives s’étaient révélées inopérantes.

Si l’administration Clinton avait effectivement voulu faire pression sur le Japon par le moyen du taux de change, elle aurait joué les apprentis sorciers. Le retour vers l’équilibre de la balance nipponne des opérations courantes, intervenu à partir de mars, était certes un objectif souhaitable, mais il intervenait à un moment particulièrement difficile pour le pays, frappé en outre, en janvier 1995, par un important tremblement de terre dans la région de K 拏be. La baisse des exportations due au renchérissement du yen a handicapé l’industrie et aggravé la crise des établissements de crédit. Cette dernière, marquée par l’accumulation de créances douteuses de plus de 40 000 milliards de yens dans les banques, des faillites d’établissements de crédit mutuel et de sociétés de financement de la construction, est devenue le principal frein à la reprise économique. Ce cercle vicieux aurait pu avoir des répercussions internationales si l’économie nipponne n’avait donné les signes d’un redressement à la fin de l’année.

La remontée du dollar

Les ministres des Finances des pays du G7 se sont retrouvés le 25 avril à Washington à l’occasion de la réunion du Comité intérimaire du F.M.I. Ils se sont prononcés pour un «renversement ordonné» des mouvements sur les taux de change, estimant que ceux-ci étaient allés «au-delà des niveaux justifiés par les données économiques fondamentales». Le retournement de la tendance sur la parité yen-dollar avait été amorcé six jours auparavant. Le sommet du G7, réuni du 15 au 17 juin 1995 à Halifax, s’est contenté, le 16, d’entériner le souhait des grands argentiers. En revanche, les chefs d’État et de gouvernement des sept grandes puissances économiques ont demandé au F.M.I. de créer un nouveau «mécanisme de financement d’urgence» pour répondre plus rapidement, avec des ressources suffisantes, à de nouvelles crises, comme celle que le Mexique venait de subir. Il était question d’un «doublement aussi rapide que possible» des Accords généraux d’emprunt, en élargissant la liste des souscripteurs, et d’une nouvelle révision des quotes-parts des actionnaires du F.M.I. L’assemblée annuelle de cette institution, en octobre à Washington, a permis d’en amorcer la discussion.

La reprise en main de l’aide au développement

Un décès et un anniversaire ont été, en 1995, l’occasion pour les États-Unis de donner une impulsion plus volontariste à l’aide au développement.La mort du président de la Banque mondiale, Lewis Preston, le 4 mai, a marqué la fin d’une première étape dans le resserrement de la gestion de cette institution et le début d’une ère nouvelle. Le président américain, à qui il appartient de désigner le président du plus gros prêteur mondial, a fait appel à James Wolfensohn, financier (il présidait une banque d’affaires portant son nom) et animateur culturel (il dirigeait le Kennedy Center de Washington). Ayant pris ses fonctions le 1er juin, il a dévoilé quatre mois plus tard les grandes lignes d’un plan de réformes qui prévoit notamment de porter de trois à cinq le nombre de directeurs généraux, pour mieux coordonner et contrôler les activités des dix-neuf vice-présidents (eux-mêmes à la tête d’autant de «baronnies», selon certains).

Lors du cinquantième anniversaire des Nations unies, le 26 juin, le président Clinton a réaffirmé l’engagement des États-Unis à leur égard. Mais dix jours auparavant, au sommet de Halifax, il avait fait adopter, sous la pression du Congrès, la décision de réexaminer le rôle de la C.N.U.C.E.D. (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), de l’O.N.U.D.I. (Organisation des Nations unies pour le développement industriel) et des commissions économiques régionales. À Washington, on reprochait aux deux premières d’avoir privilégié les aspects idéologiques du développement aux dépens des principes de l’économie de marché. Les contraintes budgétaires américaines ajoutaient aux incertitudes planant désormais sur l’avenir de ces institutions.

Quelques mois après avoir pris ses nouvelles fonctions, James Wolfensohn s’est trouvé mêlé à une controverse entre son organisation et le F.M.I. Une «fuite» dans la presse britannique a fait état, le 14 septembre, d’un projet de la Banque mondiale de créer un fonds d’environ 11 milliards de dollars, cofinancé par le F.M.I. et des contributions bilatérales, pour effacer la dette des pays les plus pauvres. Or le F.M.I. venait de publier dans son rapport annuel un projet concurrent, consistant à assurer, au bénéfice des mêmes pays, le financement de la facilité d’ajustement structurel renforcé jusqu’à son autofinancement (par les remboursements) prévu à partir de 1996. Le projet de la Banque mondiale, qualifié plus tard de «document de travail parmi d’autres», était en fait incompatible avec le principe de la conditionnalité auquel le F.M.I. demeurait attaché, considérant qu’un effacement de dette pur et simple serait une prime donnée aux mauvais payeurs qui ne ressentiraient dès lors plus d’incitation à réformer leur économie.

Le besoin d’un effort supplémentaire en faveur des pays en développement apparaissait pourtant nécessaire. Selon l’Institut de finance internationale de Washington, représentant les principales banques et institutions financières internationales, les flux de capitaux vers ces pays devaient se réduire en 1995 à 133 milliards de dollars, contre 174,4 milliards en 1994. La diminution était encore plus accusée pour les capitaux privés, dont les flux devaient revenir à 81,9 milliards de dollars, deux fois moins qu’en 1994. La Conférence de Copenhague sur la lutte contre la pauvreté, qui a réuni cent vingt et un chefs d’État et de gouvernement, sous l’égide des Nations unies, a donné lieu aux récriminations habituelles des représentants du Tiers Monde contre les pays riches. Elle s’est terminée le 12 mars 1995 par la publication d’un communiqué en dix points invitant ces derniers à consacrer 0,7 p. 100 de leur P.I.B. à l’aide au développement.

Vers la naissance de l’euro

Parmi les pays développés, le débat le plus intense a été consacré au projet de monnaie unique européenne. Il s’est manifesté au niveau national, dans les quinze pays de l’Union, invités à conformer leurs finances publiques aux critères prévus à cette fin par le traité de Maastricht, notamment dans les domaines du déficit des administrations publiques, de l’endettement et de l’inflation. Les principales décisions ont été prises le 16 décembre 1995 au Conseil européen de Madrid. Les chefs d’État et de gouvernement ont retenu le nom d’euro (les Allemands ne voulaient pas de l’écu) pour la monnaie unique, et ils ont arrêté le calendrier pour l’adoption de cette dernière, conformément à l’échéancier retenu par la Commission de Bruxelles et l’Institut monétaire européen (I.M.E.). Quatre périodes doivent s’enchaîner. En 1998, les chefs d’État et de gouvernement décideront, au début de l’année, quels pays pourront participer à la monnaie unique, la loi créant la Banque centrale européenne sera promulguée et une campagne d’information sur les divers aspects de la réforme sera lancée. Le début de la deuxième période, le 1er janvier 1999, correspondra à celui de la troisième étape de l’Union économique et monétaire (U.E.M.): la monnaie unique commencera d’exister, sous forme d’unité de compte. Elle sera utilisée notamment pour les emprunts publics et les opérations de la Banque centrale européenne. Les monnaies nationales demeureront en usage, mais les taux de change entre celles qui participeront à l’Union monétaire feront place à des «taux de conversion» immuables. Troisième période, entre janvier et juillet 2002 au plus tard, l’euro deviendra la seule monnaie légale: les signes monétaires nationaux (billets et pièces) seront progressivement échangés contre les nouveaux; les marchés financiers auront à cette date achevé leur conversion au nouveau système monétaire; les valeurs mobilières seront obligatoirement émises en euros. La quatrième et dernière période verra la démonétisation de tous les signes monétaires nationaux.

Deux importantes décisions restaient à prendre, dont le Conseil européen de Florence en juin 1996 devait offrir l’occasion; elles concernaient le pacte de stabilité pour la gestion économique et monétaire après la création de la monnaie unique (une proposition du ministre allemand des Finances Theo Waigel), et les relations entre les participants à l’Union monétaire et les autres membres de l’Union européenne.

Les bases d’un partenariat entre les Quinze et douze pays du pourtour méditerranéen (Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Territoires autonomes palestiniens, Syrie, Turquie, Chypre et Malte) ont été établies à l’issue d’une conférence tenue à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995. Le volet économique et financier a prévu l’établissement d’une zone de libre-échange à l’échéance de 2010; le partenariat politique concerne notamment la lutte contre le terrorisme et la maîtrise des armements; le partenariat social, culturel et humain concerne le contrôle de l’immigration clandestine, la formation personnelle et la création d’emplois.

L’Europe regardait aussi vers l’Est: un accord intérimaire sur les échanges économiques entre les Quinze et la Russie a été signé le 17 juillet à Bruxelles. Au terme de cet accord, Moscou bénéficie de la clause de la nation la plus favorisée, en tant que pays à économie en transition (et non plus planifiée), et la suppression des quotas à l’importation de marchandises russes, à l’exception des textiles et de certains produits sidérurgiques, est prévue.

L’Union européenne et les trois pays Baltes ont signé le 12 juin à Luxembourg des accords d’association permettant à l’Estonie, à la Lituanie et à la Lettonie de présenter leur candidature à l’adhésion en 2000. Les perspectives d’élargissement de l’Union ont déterminé Bruxelles à prendre une attitude prudente en matière budgétaire. Estimant qu’il serait impossible d’offrir aux nouveaux États membres les mêmes aides que celles qui sont actuellement en vigueur, l’exécutif européen s’est prononcé pour un dispositif transitoire moins généreux.

En attendant d’être accueillis au sein de l’Union européenne, les quatre pays du groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie – ont décidé le 18 août d’avancer de 1998 à 1997 la création entre eux de l’Accord de libre-échange centre-européen (A.L.E.C.E.). Ils sont également convenus d’accueillir un cinquième membre, la Slovénie.

La répartition des cartes parmi les pays du Sud-Est européen et de l’Asie centrale s’est faite plutôt autour du pétrole de l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan que dans un cadre spécifiquement régional. Trois ans après sa création, en juin 1992 à Istanbul, la Coopération économique de la mer Noire (C.E.N.) n’est parvenue, le 30 juin 1995 à Bucarest, qu’à réaffirmer la volonté politique de poursuivre son développement. La C.E.N. regroupe onze pays: l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Géorgie, la Grèce, la Moldavie, la Roumanie, la Turquie, l’Ukraine et la Russie. La création d’une Banque de la mer Noire pour le commerce et le développement, qui était considérée comme le «moteur» de l’organisation, a été retardée, certains pays n’ayant pas versé leur quote-part à son capital. De leur côté, la Turquie et les cinq républiques turcophones de l’ex-U.R.S.S. (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Turkménistan) ont renouvelé, lors d’un sommet tenu le 28 août à Bichkek, la capitale kirghize, leur détermination à coopérer entre elles tout en «portant une grande attention aux liens avec la Russie et les pays de la C.E.I. ainsi qu’avec l’Iran».

Amérique latine: l’intégration à petits pas

L’intégration latino-américaine, pour sa part, a marqué le pas en 1995. La dynamique de l’intégration s’est nettement ralentie en Amérique latine, à commencer par celle dont était porteuse l’A.L.E.N.A. (Accord de libre-échange nord-américain), qui semble avoir perdu son pouvoir d’attraction pour les autres pays de la région. Certains observateurs y ont vu la conséquence d’un désenchantement de milieux d’affaires des États-Unis après la nouvelle crise financière au Mexique. Les trois pays participants eux-mêmes, les États-Unis, le Canada et le Mexique, se sont abstenus d’accélérer le désarmement tarifaire entre eux, ainsi qu’il avait été prévu lors de l’entrée en vigueur de l’accord au début de 1994. Toutefois, les ministres du Commerce de trente-quatre pays du continent américain ont lancé le 30 juin un programme de travail devant aboutir à la création d’une zone de libre-échange au plus tard en 2005. Cette décision répondait à l’engagement pris par la réunion au sommet de ces pays les 10 et 11 décembre 1994 à Miami.

Le sommet des pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) devait en principe déboucher, au début de décembre, sur l’adhésion du Chili. Mais c’est, contre toute attente, la Bolivie qui en est devenue le cinquième membre. Au vrai, Santiago n’a jamais manifesté un grand intérêt pour ce groupement du cône de l’Amérique du Sud. Sa candidature a été interprétée comme une manœuvre destinée à masquer la déception d’un échec auprès de l’A.L.E.N.A., dû à l’opposition du Congrès de Washington. Les exigences chiliennes, notamment en matière agricole, ont été jugées inacceptables par les présidents des quatre pays membres. Ces derniers ont eu, quelques jours plus tard, à l’occasion du sommet de Madrid, la satisfaction de signer un accord commercial avec l’Union européenne.

Asie: pragmatisme et coopération

Les dix-huit pays membres de l’A.P.E.C. (Coopération économique des pays d’Asie-Pacifique) ont renouvelé en novembre 1995 à 牢saka l’engagement qu’ils avaient pris un an auparavant à leur sommet de Bogor, près de Djakarta, de réaliser entre eux le libre-échange à l’horizon de 2020. Toutefois, le pragmatisme asiatique l’a emporté sur l’approche juridique et contraignante que les États-Unis voulaient donner à ce projet. L’aspect le plus notable de la réunion a été l’engagement pris par la Chine (pour favoriser sa candidature à l’O.M.C.) de réduire de 36 à environ 25 p. 100 le niveau moyen de son tarif douanier sur quelque quatre mille articles. Au lendemain de ce sommet, l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, l’Australie et Hong Kong ont décidé, à l’initiative de cette dernière, de constituer un réseau de soutien monétaire mutuel sous forme de prises en pension de bons du Trésor américain détenus par leurs banques centrales respectives. Ce dispositif, auquel se sont jointes les Philippines, répondait à la crainte d’une contagion possible vers l’Asie des remous financiers provoqués par la crise mexicaine.

Les six États membres de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (A.S.E.A.N.) – Brunéi, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande – en ont admis en juillet un septième, le Vietnam. Le fait était d’autant plus remarquable que cette organisation avait été créée en 1967 pour faire obstacle à la pénétration du communisme dans la région. À l’issue de leur cinquième sommet, le 15 décembre à Bangkok, les représentants des sept pays ont formalisé dans une déclaration commune leur intention de réduire à 5 p. 100 au maximum les droits de douane applicables à leurs échanges, au plus tard en 2003 et si possible dès 2000. Ils ont également préparé l’admission du Laos, de la Birmanie et du Cambodge avant la fin du siècle.

Un accord sur l’utilisation des eaux du Mékong a été signé le 5 avril à Chiang Rai, dans le nord de la Thaïlande, par quatre États riverains, la Thaïlande, le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Reprenant les objectifs du Comité du Mékong constitué en 1957 par les trois pays de l’Indochine et la Thaïlande, ce pacte prévoit une coopération des signataires pour l’utilisation des eaux de ce fleuve en fonction des besoins et du débit. Il a été ensuite étendu à la Birmanie et à la province chinoise du Yunnan, avec l’objectif, soutenu par la Banque asiatique de développement, d’attirer des capitaux en vue de développer la région.

Incertitudes au Proche-Orient

Le secrétaire d’État américain Warren Christopher a annoncé le 29 octobre 1995 à Amman, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence économique sur le Proche-Orient, le projet de création d’une Banque pour la coopération économique et le développement du Proche-Orient. Le capital de cet établissement a été prévu à 5 milliards de dollars. Cette initiative américaine, destinée à conforter le processus de paix dans la région, paraissait compromise par l’absence de soutien de la part des Européens et des pays du Golfe, qui estimaient inutile d’ajouter une nouvelle structure financière à celles qui existent déjà. Cette institution de statut privé ne pourra offrir de prêts qu’aux conditions du marché, ce qui risque d’être trop onéreux pour les pays concernés. En l’absence d’une participation européenne, le vote de crédits par le Congrès de Washington demeurait problématique.

Afrique: à la recherche de la rigueur financière

Sur le plan institutionnel, le principal événement pour l’Afrique a été l’élection d’un nouveau président de la Banque africaine de développement (B.A.D.), pour remplacer le Sénégalais Babacar N’Diaye, qui avait été en poste pendant dix ans. Le Marocain Omar Kabbaj, qui était soutenu par la France, a été élu le 26 août, l’emportant sur le candidat du Lesotho appuyé par Washington. La décote du crédit de la B.A.D., annoncée quatre jours plus tard par l’agence américaine de notation financière Standard & Poor’s, a souligné les difficultés qui attendaient ce nouveau dirigeant pour redresser les comptes d’une institution longtemps affectée par des sureffectifs et le clientélisme. Un document interne, le rapport Knox, avait dénoncé en 1994 la mauvaise qualité des prêts de la B.A.D., imputée à des pressions politiques elles-mêmes responsables d’une «inflation des chefs» et de conflits d’intérêts entre actionnaires. La reprise en main de l’établissement s’inscrivait dans la ligne de la rigueur financière adoptée par la majorité des membres de la communauté internationale.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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